Prix Hannah-Arendt pour la pensée politique 2022.
Dans le Donbass en guerre, en janvier 2015, un jeune prof décide daller chercher son neveu de 13 ans dans l'internat où il étudie, à l'autre bout de la ville. L'école, où l'adolescent a été "parqué" par sa mère, a été visée par des tirs et les élèves n'y sont plus en sécurité. Lhomme met une journée entière à traverser la ville, devenue zone de guerre, et à atteindre le lieu en question.
Le retour à la maison est une véritable épreuve. Les deux protagonistes se retrouvent au milieu des combats, plongés dans un brouillard laiteux. Des troupes paramilitaires et des chiens errants traversent les ruines ; des hommes apathiques, désorientés, titubent dans ce paysage urbain apocalyptique. La ligne de front se rapproche de plus en plus de la maison familiale.
Serhiy Jadan décrit avec talent comment un lieu familier se transforme en un territoire étranger et inquiétant. Ses personnages sont décidés à lutter de toutes leurs forces contre la peur et la destruction. Dans L'Internat, la réflexion de Jadan sur la guerre dans le Donbass atteint son apogée.
Les téléphones existent afin de transmettre toutes sortes de choses désagréables. Je sais de quoi je parle. J'ai passé ma vie à combattre les appareils téléphoniques, sans grand succès toutefois. » Guerman vit dans une grande ville de l'Ukraine postsoviétique. Avec une certaine dose d'ironie désabusée, il cherche à éviter les combines douteuses de ses amis. Un jour, un nébuleux coup de téléphone lui apprend que son frère, qui gérait une station-service dans une province éloignée, a disparu. Guerman prend la route. Sur place, il se casse les dents sur les employés de son frère, tombe amoureux de la comptable, Olga, tente de sauver la station-service des griffes d'un oligarque... Il se démène jusqu'au moment où il comprend que ce qui est véritablement en jeu dans cet improbable voyage, c'est le sens de sa vie.Dans ce roman déjanté et musclé, à l'ambiance Easy Rider et déglingue à tout-va, Serhiy Jadan transforme la région industrielle du Donbass en un pays fantastique, où souffle avant tout le désir de liberté. Évoquant les nomades des steppes, les champs de maïs à perte de vue ou l'invention du jazz par une mystérieuse anarchiste, il nous donne à voir un pays au désordre joyeux, qui laisse la porte ouverte à tous les possibles. Prix Jan Michalski de littérature 2014.
« L'auteur s'est tellement égaré dans les chemins de traverse entre le réel et l'imaginaire, qu'il prend le parti de prévenir que tous les protagonistes sont le fruit de son imagination, de même que toutes les histoires, les situations et, d'ailleurs, les villes de ce livre. » Le ton est donné : le Lexique de Yuri Andrukhovych fait le portrait de 44 villes réelles à travers le monde, mais elles sont vues par le prisme de son imaginaire débridé et malicieux. À l'affût des situations absurdes et des personnages les plus atypiques, l'auteur nous emmène dans un voyage improbable qui passe par Minsk, Odessa, Detroit, Strasbourg, Lausanne, Drohobytch, Berlin...Andrukhovych entremêle les histoires de coeur et les polémiques contemporaines, le cliché et l'épiphanie, l'anecdote et les idées de roman. Nomade de ville en ville, l'auteur affûte son regard sur les plus petits détails, jusqu'à nous donner, par touches, sa vision de l'universel.Né en 1960 à Ivano-Frankivsk, en Ukraine occidentale, Yuri Andrukhovych est l'une des figures les plus populaires de la littérature ukrainienne contemporaine. Poète, essayiste, romancier, performeur, il a fondé le groupe de performances littéraires Bu-Ba-Bu (Burlesque-Balagan-Bouffonade). Traduit dans vingt langues, il est publié en français aux Éditions Noir sur Blanc. Il est l'auteur de l'essai « Remix centre-européen » dans l'ouvrage Mon Europe, coécrit avec Andrzej Stasiuk (2004), et des romans Moscoviada (2007), Douze cercles (2009) et Perversion (2015).Yuri Andrukhovych a reçu le prix Hanna Arendt 2014.
À Tcheremochné, dans cette région bousculée par l'histoire que l'on appelle Bucovine, vit Daroussia. Tout le monde se moque d'elle dans le village, de son mutisme, de son prétendu handicap mental. On la dit folle mais Daroussia sait qu'elle n'est pas simple d'esprit. Si elle ne parle jamais aux autres ses pensées fusent sans retenue, et il n'y a qu'au cimetière, seule près de la tombe de son père, que Daroussia la Douce parvient à converser à voix haute.
De plus, la simple mention d'une sucrerie provoque d'affreuses migraines chez Daroussia, elle est comme frappée d'une hache mal aiguisée. Pour apaiser la douleur, elle s'immerge dans la rivière ou s'enterre jusqu'à la taille. Un jour, arrive Ivan Tsvytchok, un excentrique fabricant de guimbardes. Tous deux s'entendent à merveille et décident d'habiter sous le même toit. Ivan fait son possible pour aider Daroussia, il parvient même à la faire parler, mais lorsqu'il rentre un jour habillé en soldat soviétique, la souffrance et le mutisme se réveillent...
Pour comprendre comment un uniforme et de simples sucreries peuvent ainsi torturer Daroussia, Maria Matios nous plonge dans l'enfance de cette orpheline, une enfance intimement liée au destin de l'ouest ukrainien. Balancée dès la fin de la Première Guerre mondiale entre la Pologne, la Roumanie, l'Allemagne et l'Union soviétique, cette région aussi surnommée la douce Bucovine a lourdement marqué l'identité de ses occupants successifs. Grâce à son style singulier et puissant, Maria Matios parvient à décrire ces chairs meurtries par l'histoire, elle dresse avec justesse le portrait de Daroussia et de ses aînés qui incarnent le XXe siècle européen autant que les crises et combats qui secouent, aujourd'hui encore, cette région du monde.
Tout commence par une histoire d'amour vouée à l'échec avant même ses prémices.
La relation passionnelle que partagent un peintre ukrainien et la narratrice constitue une métaphore de l'Ukraine du XXIe siècle. L'héroïne d'Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous raconte la chute de l'URSS et du modèle soviétique qui a donné naissance à l'Ukraine indépendante, mais qui a également laissé dans ce pays une fracture et un traumatisme encore béants. À travers ses tentatives d'émancipation, la narratrice cherche à comprendre la force d'une identité et l'importance de se détacher du passé. Ce travail de deuil ne renvoie pas seulement au fait d'être ukrainien, mais au fait de se retrouver à genoux sous le poids d'une culture allogène. Oksana Zaboujko, dans cette fiction partiellement autobiographique, fait vivre cette langue et cette culture qui flotte dans la « non-existence ». Le corps d'une femme devient ainsi la métaphore d'un pays, de sa culture et de ses racines.
Explorations sur le terrain du sexe ukrainien nous donne de précieuses clés pour comprendre ce que signifie être humain, dans toute sa poésie et sa conscience.
EXTRAIT
Attendre un peu. Regarder ce film jusqu'au bout. À la différence de ceux que diffusent les public channels locales, lorsque dans les moments les plus tendus, ceux qui font froid dans le dos, quand on suit le héros qui court à travers un tunnel et que devrait croiser d'un instant à l'autre un monstre tapi dans un recoin, on se reprend - que le diable l'emporte ! - tout ira bien, encore deux-trois minutes, une confrontation, une bagarre générale et le monstre, après un dernier cri inhumain, se transformera on ne sait comment en poussière, alors que le héros courageux, légèrement atteint, reprenant son souffle dans le halo de l'incendie, serrera contre lui une Sharon Stone (ou une autre demoiselle aux cheveux bruns, peu importe) sauvée, et voilà que l'inquiétude étreint, dévoilant tout son ridicule : de nouveau les GI hollywoodiens auront réussi ne serait-ce qu'un instant à t'avoir ! - à la différence de ceux-là, le film, que tu n'oses tout de même pas interrompre, ne finira pas forcément bien. Néanmoins, éteindre serait une véritable goujaterie. Et une idiotie. Et une gaminerie : pas appris la leçon, pas d'école. Non, très chère (« chérie », se reprend-elle non sans ironie : c'est ainsi que l'appelait cet homme qui, sans doute, se sent encore moins bien, mais cela n'a plus aucune importance), non, pas moyen de se tirer : essaye d'abord d'aller jusqu'au bout, et c'est là que tu sauras ce que tu vaux. Understand ?
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
- « Liberté de ton, insolence, appel à la réflexion, aux mises en question des rapports au passé, à l'identité, aux rôles imposés par les impensés sociaux, aux partages qui « vont de soi »... Tout cela, pris dans les rythmes haletants d'une langue littéraire originale, en fait un roman qui mérite d'être lu. » - Francis Wybrands, revue Etudes
À PROPOS DE L'AUTEUR
Diplômée de philosophie et de littérature, Oksana Zaboujko réfléchit dans sa fiction comme dans ses articles de presse sur l'identité ukrainienne et l'empreinte de l'histoire, à travers un prisme féministe. Explorations sur le terrain du sexe ukrainien a été publié en 1996 : premier best-seller ukrainien, il a été traduit en onze langues et adapté au théâtre.
« Quelque chose d'immense et d'insaisissable va bientôt prendre une inspiration, s'étirer doucement et se réveiller. »
Felix Austria se déroule à Stanislaviv, l'actuelle Ivano-Frankivsk, autour de 1900. Nous sommes dans l'une des capitales culturelles de la Galicie, province de l'Empire d'Autriche-Hongrie. La vie de cette paisible ville des confins est vue à travers les yeux d'une jeune femme engagée comme cuisinière dans une famille aisée. Le récit explore les destins entrecroisés de Stefania et Adèle, la domestique et sa maîtresse, empêtrées dans une relation fusionnelle qui tournera mal.
Dans sa transition vers la modernité, si bien décrite par Musil ou Stefan Zweig, ce monde s'avère à la fois hermétique et incroyablement divers, un brassage d'ethnies, de langues et de religions. À Stanislaviv, les habitants mènent leurs petites affaires : ils éprouvent des amours non partagées, dissimulent leurs secrets dans des armoires, se passionnent pour les sciences ou des spectacles de magie, s'amusent dans les bals et les carnavals. Cependant, malgré sa prospérité et sa stabilité apparentes, cette société porte les ferments de sa propre dissolution.
Pour Sofia Andrukhovych, le mythe de la Felix Austria (« Autriche heureuse ») évoque un monde disparu, une société tolérante, prospère et multiculturelle. Une plongée dans l'Europe centrale d'avant 1914 - où l'on pressent les bouleversements du siècle à venir.
Née en 1982 à Ivano-Frankivsk, Sofia Andrukhovych, auteur de plusieurs essais et romans, est la fille de l'écrivain Yuri Andrukhovych (publié aux Éditions Noir sur Blanc). Journaliste, traductrice du polonais et de l'anglais, Sofia Andrukhovych a été récompensée par de nombreux prix littéraires, dont le « Livre de l'année de la BBC 2014 » pour Felix Austria et le prix Conrad 2015 pour l'ensemble de son oeuvre. Felix Austria est son premier livre traduit en français.
Ce recueil de 47 poèmes s'intitule "Les Abricots du Donbas" car, là où s'arrêtent les abricotiers, commence la Russie. Née et élevée dans une petite ville minière de l'Est industriel de l'Ukraine, Luba Yakymtchouk a perdu sa maison familiale en 2014 lorsque la région a été occupée par des séparatistes soutenus par la Russie. Fruits d'expériences émotionnelles très complexes, ses poèmes s'étendent du désir érotique dans une ville déchirée par la guerre à l'imitation de babillages enfantins pour décrire les outils du combat militaire, vus comme des jouets. Luba Yakymtchouk fait preuve d'espièglerie face à la catastrophe et signe ainsi sa
singularité artistique, évoquant l'héritage des futuristes ukrainiens des années 1920. Une langue dénuée de tout pathos, authentique et intime pour transcrire le quotidien de tout un peuple en résistance à travers la poésie d'une femme.
"Avec la famille on partage la table et tombes/Avec l'ennemi ; seulement les tombes/Que vienne à moi un tel prétendant
/Partager avec moi une tombe/Me dire : Je suis plus grand que toi/Je suis plus dur que toi/Je suis plus fort que toi/Couteau après couteau se plante dans le ventre et plus bas/Lame contre lame/Sa pression est plus pressante/Mais/Il est plus petit que nous/Il est plus faible que nous/Car de lame, il n'a qu'une seule/Et nous sur la table, beaucoup. L.Y."